Une remise en question du Nouvel Ordre Impérial
Un tribunal international sur le Project for the New American Century (PNAC)
et sa mise en oeuvre par le cabinet de guerre du président Bush lors de l'invasion de l'Iraq

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Synopsis

Le BRussells Tribunal est un comité d’audience composé d’universitaires, d’intellectuels et d’artistes, dans la tradition du Tribunal Russell, créé en 1967 pour enquêter sur les crimes de guerre commis durant la Guerre du Vietnam. L’audience aura lieu les 14- 17 avril 2004, au Beursschouwburg et aux Halles de Schaerbeek, à Bruxelles. Le Tribunal sera présidé par le Professeur François Houtart, l’un des pères fondateurs du Forum social mondial de Porto Alegre. Ce Tribunal s’oppose à la guerre en Irak et à l’impérialisme guerrier prôné par l’administration Bush II. Il s’attaquera principalement au PNAC (« Project for a New American Century », Projet du nouveau siècle américain), le groupe de réflexion néoconservateur qui soutient cette guerre, et en particulier aux trois co-signataires de sa déclaration de mission: Donald Rumsfeld, Dick Cheney et Paul Wolfowitz. Ceux-ci sont en effet le lien physique entre le discours et la mise en pratique brutale du nouvel ordre impérial, énoncé dans le PNAC.

Historique

Juste avant le début de la guerre en Irak, une pétition, signée par quelque 500 artistes, écrivains, intellectuels et universitaires, dont Julia Kristeva, Richard Plunz, Irving Wolfharth, Anne Teresa De Keersmaeker, Hans Ulrich Obrist et François Houtart, avait été lancée. Elle en appelait à la morale et, si possible, à une action en justice contre le « Projet du nouveau siècle américain » et les autorités responsables de la guerre contre l’Irak. Elle fut publiée le 21 mars (le lendemain du déclenchement des hostilités) dans deux quotidiens belges, De Standaard et et De Morgen. Rapidement, on se rendit compte qu’une action en justice était peu Rapidement, on se rendit compte qu’une action en justice était peu  probable, puisque les États-Unis avaient persisté à agir à l’encontre de toute autorité légale susceptible de les menacer, et ne changeraient manifestement pas de cap.

D’où l’idée de créer un « tribunal moral » qui interrogerait la légitimité de l’intervention militaire au regard du droit international ainsi que la responsabilité incombant à la nouvelle politique américaine et aux groupes de réflexion sur lesquels elle s’appuie, qui restent jusqu’à présent hors d’atteinte de la justice.  

Une large plate-forme, composée de plusieurs organisations culturelles belges, fut mise sur pied afi n de concrétiser la première proposition de la pétition, à savoir la création d’un Tribunal de Bruxelles, sur l’exemple de l’historique Tribunal Russell. À la fi n du mois de juin 2003, lors d’une conférence de réseau organisée par la Fondation Russell à Bruxelles, on décida qu’une série d’auditions se tiendraient à divers endroits du monde, avant une séance fi nale à Istanbul. Le Tribunal de Bruxelles en serait l’une des commissions d’enquête. La Fondation Russell accepta de soutenir l’initiative, et dans le cadre d’une conférence de presse qui suivit la réunion, ses représentants annoncèrent : « Une proposition visant à constituer une commission d’enquête qui culminerait avec la création d’un Tribunal sur la guerre en Irak a été discutée. Les parties en présence réexamineront cette possibilité en détail lors d’une série de  consultations qui auront lieu en Turquie, en Belgique, aux États-Unis et au Japon ».

Depuis lors, les organisations pour la paix et les associations de juristes sont nombreuses à avoir rejoint le réseau. L’initiative gagne en taille et en élan chaque jour. (Vous trouverez ici une liste provisoire des organisations).

Quelques mots sur le PNAC

L’acronyme PNAC est à la base de la guerre en Irak et de bien d’autres confl its à venir. C’est au printemps 1997 que les néo-conservateurs Robert Kagan et William Kristol du Weekly Standard fondèrent le « Projet du nouveau siècle américain » ( Project for the New American Century, PNAC). Les signataires les plus célèbres de la déclaration de mission sont Dick Les signataires les plus célèbres de la déclaration de mission sont Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Jeb Bush (le frère de George W.), Francis Fukuyama et, dernier mais non le moindre, Paul Wolfowitz, anciennement professeur de Politique Internationale et doyen du département de Politique Internationale de l’Université John Hopkins. Son directeur actuel est Gary Schmitt. Soulignons que nombre de ses membres sont étroitement liés à l’industrie militaire et pétrolière. Le PNAC se décrit lui-même comme « une organisation à but non lucratif, éducative, qui vise à promouvoir le leadership américain mondial».

Sa « Déclaration de principe » est sans équivoque : « L’histoire du XXème siècle devrait nous avoir appris qu’il vaut mieux infl uencer la marche des événements avant qu’émergent les crises, et répondre aux menaces avant qu’elles n’aient des conséquences désastreuses. L’histoire de ce siècle devrait nous avoir appris à embrasser la cause du leadership américain mondial » (il s’agit de la doctrine de « l’attaque préventive » et de « l’hégémonie bienveillante »). Le PNAC s’articule autour d’un programme en quatre points, qui doit lui permettre d’accomplir sa mission :

En septembre 2000, avant la victoire de George W. Bush aux élections présidentielles, le PNAC avait publié un rapport fondamental, intitulé « Repenser les défenses de l’Amérique : Stratégies, forces et ressources pour un siècle nouveau », dans lequel le groupe déclarait clairement qu’attaquer Saddam n’était qu’un alibi pour asseoir la suprématie américaine : « Pendant des décennies, les États-Unis ont cherché à jouer un rôle plus permanent dans la sécurité de la région du Golfe. Si le conflit non résolu avec l’Irak fournit une justification immédiate, la nécessité d’une présence américaine forte dans le Golfe passe avant le problème du régime de Saddam Hussein» (p. 14). Le rapport préconisait une modernisation à grande échelle de l’armée, et estimait qu’une enveloppe annuelle de 15 à 20 milliards de dollars serait nécessaire pour transformer les forces américaines en une sorte de « super-force impériale», qui prendrait le commandement de la «révolution des affaires militaires». Cependant, le PNAC avait bien conscience des difficultés à affronter avant d’atteindre cet objectif : «Le processus de transformation sera probablement long, sauf événement catastrophique déclencheur, du genre d’un nouveau Pearl Harbor» (p. 21). Thomas Donnelly, principal auteur du rapport, travaille actuellement pour la société Lockheed Martin.

Lorsque Bush est arrivé au pourvoir, accompagné de Dick Cheney comme vice-président, de Donald Rumsfeld à la Défense, et de Paul Wolfowitz au poste de vice-ministre de la Défense, la théorie du PNAC est devenue la référence en matière de défense et de politique internationale américaines. Cette théorie a reçu l’approbation officielle de la Maison Blanche dans un document signé personnellement par le président Bush : «La stratégie de sécurité nationale des États-Unis d’Amérique» (septembre 2002). Entre- temps, les événements ont confirmé que les principes d’une suprématie militaire mondiale impitoyable étaient bien appliqués.

Après le 11 septembre, ces personnes disposèrent de « l’événement catastrophique déclencheur» et du crédit politique nécessaires pour mettre leur programme en oeuvre. Ils purent accomplir l’une des autres tâches fondamentales de la nouvelle armée américaine: «mener et gagner de manière décisive les principales et multiples guerres simultanément en cours dans le monde » (p. 4). Cette phrase terrible mérite sans doute quelques explications.

« Les principales guerres mondiales » est un terme militaire qui désigne les grands champs » est un terme militaire qui désigne les grands champs de bataille, mais si vous savez déjà que vous «gagnerez de manière décisive » avant même de partir au combat, l’effort devient une « guerre de façade», au sens plus général de « guerre de pacotille ». Cette rhétorique devrait sauter aux yeux de la planète entière. Selon George W. Bush lui-même : « Qui n’est pas avec nous est contre nous». Par conséquent, ces guerres doivent être « multiples et simultanées ». Comme dans l’Empire romain, le «Projet d’un nouveau siècle américain » veut imposer au monde entier une «Pax Americana », qui signifie en réalité une «domination complète ». Le rapport PNAC n’est que l’itinéraire qui mène à ce nouvel ordre impérial, dans lequel une méga-armée de pointe dirige «un monde de plus en plus chaotique», à grand renfort d’interventions de choc, de manoeuvres d’intimidation et de technique de la terre brûlée.[1]

Accusation

Nous pensons que le programme du PNAC mis en oeuvre par le cabinet de guerre de George Bush mène tout droit à des violations du droit international, à des milliers de victimes superflues, ainsi qu’à la déstabilisation de la planète entière, d’un point de vue tant social que politique et humanitaire. Il conduit à une militarisation sans précédent du monde. Cette nouvelle hégémonie américaine est en réalité une manière de servir les intérêts de l’industrie pétrolière et du complexe militaro-industriel des Etats-Unis (auxquels de nombreux membres du PNAC et proches de Bush sont étroitement liés). Cette politique menace gravement et de manière persistante la paix mondiale. «L’acte d’accusation » peut provisoirement être énoncé comme suit :

1 Pour en savoir plus sur le PNAC, surfez sur www.newamericancentury.org ; un excellent dossier sur le sujet a été compilé par moveon.org (disponible sur demande) ; consultez également les sites suivants: www.pnacrevealed.org ou www.pnac.info

« Le Projet du nouveau siècle américain et ses membres, en particulier les principaux responsables du PNAC au sein du cabinet Bush, ont prôné, planifi é et commis des crimes contre le droit international et l’humanité (sinon au sens juridique, du moins au sens éthique).»

Même si le PNAC n’est qu’une théorie et qu’à ce titre, ses membres pourraient invoquer et invoqueront certainement la « liberté d’expression », nous pensons que leur discours est à caractère performatif : il vise à l’action. Il n’est dès lors plus question de liberté d’expression, mais bien de propos qui sont sources d’actions. Ces dernières, découlant directement du discours du PNAC et de sa transposition dans la « Stratégie de sécurité nationale des États- Unis », signée par le président Bush (septembre 2002), sont inadmissibles.

En voici les principales :

1) La planification d’une guerre sans la preuve du danger imminent pour le pays concerné est considérée comme un «acte d’agression » en droit international. Mener une telle guerre d’agression constitue une violation claire et nette de la Charte des Nations unies.

- La doctrine de la «frappe préventive », proposée par Paul Wolfowitz dans les Lignes directrices de la défense en 1991, est incompatible avec le droit international, qui limite le recours à l’autodéfense aux situations où un État a subi une attaque armée, c’est-à-dire une agression. Cette doctrine, que le président Bush a offi ciellement faite sienne dans son discours à l’Académie militaire de West Point (1/6/2002), constitue une grave menace pour la paix mondiale ainsi qu’une violation du droit international.

- L’invasion de l’Irak par les États-Unis et le Royaume-Uni équivaut à une grave violation du droit international et de la Charte de l’ONU.

- Outre les situations d’autodéfense, la Charte de l’ONU stipule que les États ne peuvent recourir à la force armée qu’avec l’assentiment du Conseil de Sécurité. La Charte a institué un système de sécurité collective, auquel l’actuelle administration américaine désobéit ouvertement. Qui plus est, les principaux conseillers du président, comme Richard Perle, le considèrent hors de propos, bref, comme un obstacle à éliminer.

- Jusqu’à présent, on n’a trouvé aucune arme de destruction massive, ce qui fait du casus belli tout entier une véritable supercherie.

2) Pendant la guerre en Irak, le droit humanitaire international a été enfreint à de multiples occasions et violé de manière évidente et répétée :

- L’utilisation de bombes-grappes contre les civils peut être considérée comme un crime de guerre, car elles causent des blessures inutiles, notamment celles qui surviennent longtemps après le cessez-le-feu.

- L’utilisation d’uranium appauvri dans les munitions et les bombes peut être considérée comme un acte parfaitement inutile et un crime de guerre grave.

- La chasse aux journalistes qui ne sont pas placés sous la protection des unités américaines peut être perçue comme une guerre contre la presse libre, donc une violation de la liberté d’expression.

- Le droit international énonce clairement que l’armée en guerre a pour devoir d’identifi er et d’incinérer les soldats qu’elle a tués. Les États-Unis et les forces de la coalition n’ont pas respecté cette règle.

3) Les devoirs d’une force d’occupation n’ont pas été respectés (et ne le sont toujours pas) :

- Le fait que non seulement les bombardements massifs aient détruit le pays, mais encore que le pillage des hôpitaux se soit poursuivi pendant plusieurs jours, prouve bien que la coalition ne cherche pas à y mettre fin (les soldats ont uniquement protégé les champs de pétrole et le ministère du Pétrole). L’absence totale de protection des hôpitaux constitue un manquement au devoir des forces d’occupation de porter assistance aux victimes de guerre. Nous pouvons voir en cette grave omission une infraction aux règles de guerre, puisque la législation internationale de la guerre énonce clairement que l’occupant a le devoir d’instaurer l’ordre et la sécurité dans le pays occupé.

- La permissivité face au pillage de tous les ministères prouve que la coalition ne veut pas vraiment enquêter sur l’histoire de cet effroyable régime, puisqu’elle a toléré la destruction d’un grand nombre d’archives. Dans une certaine mesure, on peut y voir une attaque contre la mémoire collective irakienne.

- La politique permissive de l’armée américaine et des forces de la coalition face au pillage du musée national de Bagdad et de beaucoup de sites importants peut être tenue pour un crime contre le patrimoine culturel du pays et, étant donné la valeur inestimable de ces sites (comme celui de Babylone), berceaux de la civilisation (occidentale et orientale), pour un crime contre le patrimoine culturel de l’humanité elle-même.

- La reconstruction de l’Irak est et sera une bonne affaire pour plusieurs sociétés américaines : Halliburton, Kellogg Brown & Root, Bechtel. Les revenus du pétrole irakien profiteront directement ou indirectement aux compagnies américaines (qui sont pour la plupart des concurrentes sur le marché pétrolier). Ceci va à l’encontre des principes les plus fondamentaux du droit international, qui veulent que l’État responsable d’infractions au droit ou aux règlements internationaux n’en tire pas avantage ; il est prié de fournir des compensations pour les dommages causés par lesdites infractions.

4) L’occupation de l’Irak par les forces américaines et britanniques est une violation du droit international.

- Le fait que les puissances occupantes fassent partie des membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU et opposeront leur veto à toute résolution destinée à mettre fi n à l’occupation ne modifie en rien la situation de violation permanente du droit international et de la Charte des Nations unies, ratifiée à la fois par les Etats-Unis et par le Royaume-Uni.

5) La « nouvelle souveraineté impériale américaine » conduit à un « État d’exception » mondial.

La guerre en Irak n’a rien d’un événement isolé, comme on peut le déduire à la lecture du rapport du PNAC et du cas de l’Afghanistan, sans parler des menaces contre la Syrie et l’Iran, ni de l’idée de « punir » la France pour son opposition à la guerre, ou encore la Belgique en raison de sa loi antigénocide. Cette «politique unilatérale », qui débouche sur une hégémonie planétaire telle qu’elle est énoncée dans le rapport du PNAC (septembre 2000), puis transposée dans le « Rapport sur la sécurité » officiel du président George W. Bush (septembre 2002) et mise en oeuvre depuis, continuera à déstabiliser la planète sur le plan social, économique, politique et humanitaire, et à faire des victimes inutiles.

Le rejet de toutes les autorités légales internationales qui seraient en mesure de contrôler ou de condamner les citoyens des États-Unis, en particulier l’opposition flagrante à l’ONU et le rejet de la Cour Pénale Internationale, prouvent que les États-Unis négligent totalement l’ordre légal international. Il nous semble impératif d’étudier et de critiquer les fondements « philosophiques » (ou idéologiques) de ce « nouvel ordre impérial » dans les travaux de Robert Kaplan, Robert Kagan, Paul Wolfowitz, Francis Fukuyama, Samuel Huntington et consorts. Il s’avère essentiel d’exposer les fondements du concept inédit de «domination complète » ( full spectrum dominance) dominance [2].

Le changement de cap de la politique américaine est aussi dramatique qu’alarmant.

Le passage du multilatéralisme à l’unilatéralisme n’a rien d’innocent. «L’hégémonie bienveillante»[3] défendue en 1996 par les fondateurs du PNAC, Robert Kaplan et William Kristol, est devenue malveillante. « L’exception américaine » qu’ils défendaient s’est muée en « État d’exception ». La souveraineté a toujours consisté en un droit à déclarer l’état d’exception (selon Carl Schmitt[4]) ; or, il semble que la nouvelle politique américaine cumule ces exceptions :

- De nombreux prisonniers de guerre des conflits afghan et iraquien sont détenus sur la base de Guantanamo (Cuba), choisie car située en dehors du territoire des États-Unis.

Par conséquent, l’administration Bush prétend que la législation américaine concernant le traitement des prisonniers n’est pas applicable (les pratiques de Guantanamo ont été critiquées par diverses organisations des droits de l’homme).

- La doctrine des « frappes préventives », déjà mentionnée.

- L’abandon des accords de Kyoto sur le contrôle des changements climatiques.

- Le rejet de la Cour Pénale Internationale de La Haye.

- Le rejet du traité de non-prolifération des armes nucléaires.

- Les lois Patriot I et II qui suspendent de nombreux droits civils de base.

- L’expulsion, depuis le 11 septembre, de milliers d’immigrés installés aux Etats-Unis depuis des années.

- L’abandon complet des chômeurs et des pauvres (dans des ghettos comme Skid Row à Los Angeles).

Tous ces éléments concourent à prouver que « l’exception américaine » se dirige vers un dangereux « État d’exception » (y compris à l’intérieur même des États-Unis).

2- Un concept clé de « Joint Vision 2020 », le projet pour l’armée américaine pour les décennies à venir, défini comme la capacité des forces américaines à vaincre n’importe quel adversaire et à contrôler toute situation englobant l’éventail des opérations militaires.
3- William Kristol et Robert Kagan : Toward a Neo-Reaganite Foreign Policy
– Affaires étrangères, juillet/août – Affaires étrangères, juillet/août 1996.
4- Giorgio Agamben, Homo Sacer (Paris 1997), suggère clairement que ce nouvel ordre mondial s’appuie sur la (Paris 1997), suggère clairement que ce nouvel ordre mondial s’appuie sur la souveraineté, soit le pouvoir de déclarer l’état d’exception.


Conclusion : Pourquoi un BRussells Tribunal?

Il a fallu des années avant que l’opposition à la guerre du Vietnam se transforme en mouvement de masse. La situation actuelle est différente. Même avant la guerre en Irak, l’invasion américano-britannique était mondialement rejetée et condamnée. La commission d’enquête à Bruxelles, et partant le processus entier qui débouchera finalement sur le Tribunal d’Istanbul, ne peut avoir pour unique objectif de porter le caractère illégal de cette guerre à l’attention du public. Cet argument a déjà été largement reconnu et débattu. Quelle est dès lors sa justification ? Pourquoi créer ce tribunal ?

Parce qu’il est fondamental pour l’avenir du monde de résister à la tendance de présenter la situation actuelle comme normale : or, c’est exactement ce qui se passe et ce que l’administration Bush s’efforce de faire.

Parce qu’il est essentiel de ne pas accepter le « fait accompli » en le qualifiant de « Realpolitik », contrairement aux propos de certains décideurs et journalistes européens.

Parce qu’il est important d’exprimer ce point de vue de manière explicite, même s’il est déjà bien connu de tous, et d’affi rmer haut et clair «c’est un crime » et «c’est une violation du droit international ».

Parce qu’il faut garder espoir. Bien des gouvernements, y compris les autorités belges, ont tendance à renoncer et à courber l’échine sous la pression américaine. Nous, la société civile, le peuple, nous devons élever la voix.

Parce qu’il faut défendre la dignité humaine fondamentale, la justice et surtout, la paix mondiale. La guerre en Irak n’était qu’une étape dans le processus d’imposition de la « Pax Americana », par le biais de guerres multiples et simultanées – car d’autres guerres suivront, à n’en point douter. Plus forte sera la résistance dès le départ, plus nous aurons de chances d’arrêter cette marée impériale. Nous sommes au bord du gouffre. L’administration Bush espère bien nous avoir à l’usure. Une capitulation entraînerait immanquablement un redoublement d’interventions frénétiques, capricieuses et agressives. Pensons donc au Traité de Munich, qui a ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale : voilà un précédent historique à méditer. Les interventionnistes les plus ardents ont déjà mis au point une kyrielle d’interventions préventives : l’Iran, la Syrie, la Corée du Nord, la Colombie, la Libye et même la Chine. L’armée américaine ne se contente pas de stationner, elle intervient aussi dans de nombreux pays du monde (en Afghanistan ou au Kosovo, comme en Colombie et aux Philippines, etc.).

La Pax Americana est un nouvel ordre mondial mis au point dans l’intérêt d’une poignée de corporations américaines. Sous la bannière de la « démocratie » et de la « liberté », la nouvelle économie mondiale est une source de pauvreté pour beaucoup de pays du monde en développement. Elle ne peut qu’entraîner une résistance sans fin de la part des plus démunis.

La Pax Americana ne vivra que de la discorde, et donc de la guerre. Afin de mobiliser les forces politiques nécessaires, l’administration Bush attise toutes les tensions et contradictions possibles et imaginables : l’opposition entre le monde occidental et l’Islam, entre la « nouvelle Europe » et la « vieille Europe », entre les différents pays en développement. Elle agit également à l’intérieur des pays, en encourageant des penchants comme le nationalisme, le tribalisme et le fanatisme. L’administration Bush suit donc plus que jamais la devise impériale « diviser pour régner », et intensifie ou crée des conflits potentiels aux quatre coins du monde.

Pour maintenir la « Pax Americana » et imposer sa « domination complète », l’administration Bush est en train de mettre au point une nouvelle génération d’armes nucléaires. Ces ogives seraient capables de trouer le blindage des centres de commande ou des sites d’armement souterrains. Ce projet menace de brouiller la distinction entre armes nucléaires et conventionnelles. Aux yeux des autorités américaines, ces «armes nucléaires utilisables » rétabliront la crédibilité de la puissance nucléaire du pays. En conséquence, le seuil nucléaire sera revu à la baisse et les risques d’un cauchemar nucléaire iront croissants, plus graves encore qu’aux pires moments de la Guerre froide.

Dans une courte déclaration destinée à l’Initiative du Tribunal international d’Istanbul, John Berger indique: «Il faut conserver les documents, et par définition, les auteurs d’exactions, loin de les garder, essaient de les détruire : ils assassinent les innocents, ils assassinent la mémoire.

Les preuves des crimes commis doivent alimenter l’opposition montante à la nouvelle tyrannie mondiale. Les nouveaux tyrans, incomparablement sur-armés, peuvent gagner n’importe quelle guerre, qu’elle soit militaire ou économique. Or, ils sont en train de perdre la guerre (c’est ainsi qu’ils la nomment) de la communication. Ils ne s’allient pas l’opinion mondiale : de plus en plus de gens disent NON. Finalement, c’est ce qui causera la perte de la tyrannie. Mais au bout de combien de tragédies, d’invasions et de catastrophes collatérales encore ? Après avoir fait combien de pauvres en plus ? D’où l’urgence de tout consigner, de se souvenir, de réunir les preuves, afi n que ces accusations deviennent inoubliables et connues de tous, sur tous les continents. De plus en plus de gens se mettront à dire NON, car telle est la condition incontournable pour être en mesure de dire OUI à tous ce que nous sommes déterminés à sauver, à tout ce que nous aimons. » John Berger, 18.06.2003, Paris - Mieussy

Partant, nous concluons qu’il existe des raisons urgentes et suffi santes pour tenir une audition contre cette nouvelle politique impériale (puisqu’une action en justice a peu de chances de porter ses fruits) et explorer à la fois la théorie et la pratique de cette stratégie. C’est pour cette raison que nous avons choisi pour cible le « Projet sur un nouveau siècle américain ». Nous sommes convaincus qu’il y va du devoir du peuple de la planète Terre de s’insurger contre cette politique dangereuse, immorale et en fait criminelle : « The People vs Total War Incorporated»

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Contact : [email protected]
Lieven De Cauter
Patrick Deboosere